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Note Bibliographique

L'économie des logiciels libres

 

Introduction

  La thématique des logiciels libres est un sujet très à la mode ces derniers temps. Ces communautés de Hackers qui développent gratuitement des logiciels qui arrivent à concurrencer les produits de firmes comme Microsoft, Sun, ... suscitent l'attention et l'étonnement. Ce phénomène original a attiré l'attention des économistes et une abondante littérature existe sur ce sujet.

Il serait vain d'essayer de faire une revue exhaustive de la littérature qui traite de ce sujet. Pour réaliser ce travail nous avons essayé de chercher des articles qui permettaient d'éclairer la problématique de la viabilité des Business models des entreprises qui gravitent autour des logiciels Libres. Nous avons donc, dans un premier temps orienté nos recherches vers des articles qui définissaient les logiciels libres et, en particulier, qui faisaient le point sur les différentes formes de licences (GPL, GNU, licences liées à un projet précis.). Dans ce cadre, les articles de Zimmermann (1999) ou Dominguez (2001) nous ont paru particulièrement intéressants. Ces articles ont été très utiles pour nous permettre de bien comprendre les aspects juridiques qui fondent le monde du logiciel libre. Mais nous avons choisi de ne pas les traiter dans cette note bibliographique. De même les textes qui portent sur la définition des différents Business Models de la « nouvelle économie » (Bambury, 1999 ; Bernard Maitre et Grégoire Aladjidi, 1999) nous ont été très utiles pour mieux appréhender cette notion de Business Model, mais nous ne les traiterons pas dans cette note. D'autres textes ont aussi attiré notre attention au cours des recherches, il s'agit de textes qui traitent en détail des Business Model d'un type de société qui développe des logiciels libres que ce soit Apache ou Linux ( Mockus et ali, 2000; Dalle et Jullien, 2002). Tous ces textes sont très intéressants dans la mesure où ils définissent avec précision des notions complexes et fondamentales pour le sujet qui nous préoccupe ici ou parce qu'ils analysent des exemples concrets de Business Model. Mais nous avons préféré restreindre cette note sur un seul aspect du logiciel libre pour trouver des textes qui, sur un même sujet, proposent des points de vues différents et complémentaires.

Le sujet sur lequel nous avons choisi de focaliser notre attentions est les relations entre les différents acteurs du Libre : les concepteurs, les développeurs, les utilisateurs et les firmes. La capacité de faire interagir ces différents acteurs ensemble et efficacement est une des clefs de voûte pour assurer la viabilité d'un Business Model pour les entreprises qui gravitent autour du Libre.

Le premier texte que nous allons étudier (Raymond, 1998) explique le fonctionnement des relations entre les concepteurs de projets open source et les développeurs-utilisateurs, ainsi que les motivations de ces derniers. Le deuxième texte (Torwalds, 2001) analyse ce même fonctionnement mais en y ajoutant un acteur supplémentaire : l'entreprise. Enfin, le dernier article (Foray et Zimmermann, 2002) explore les conséquences d'une ouverture vers le grand public sur le mode de développement des logiciels libres

 

 

La cathédrale et le bazar, Eric S. Raymond, 1998.

 

Le premier article que nous allons étudier est un texte fondamental et de référence sur l’économie du logiciel libre.

Ce texte n’a pas été écrit par un économiste, mais par Raymond, qui est un hacker, un de ces « bidouilleurs » qui contribua au développement des logiciels libres. Raymond a été impliqué dès les années 80 dans le développement de UNIX, ancêtre de linux ; il a également contribué à GNU (Gnu is Not Unix) ainsi qu’à de nombreux autres projets open source.

Dans ce texte, Raymond montre la mise en place d’un mode de développement open source, à partir de sa propre expérience dans le développement de messagerie « Fetchmail ». Ce texte s’adresse dans un premier temps aux hackers pour leur prouver qu’un modèle de développement open source est efficace et leur donner envie de participer. Dans un second temps, on se rend bien compte, dans les apports des différentes versions, qu’il s’agit aussi de convaincre certaines sociétés éditrices de logiciels du bienfait pour elles de passer en mode de développement open source. Ce faisant, il apporte à l’économiste des concepts fondamentaux pour mieux comprendre le développement du logiciel libre.

 

La cathédrale et le bazar

 Les deux premiers concepts, que l’on va retrouver en permanence dans la littérature qui analyse le phénomène du  libre, sont ceux de cathédrale et de bazar.

La cathédrale désigne le mode de développement habituel et fermé des logiciels. Les programmeurs travaillent dans une firme qui coordonne leurs travaux. Le code source des logiciels qu’ils produisent est fermé et ils ne les distribuent que quand ils sont parfaitement opérationnels ou du moins devraient l’être.

La cathédrale symbolise l’ordre, le fonctionnement hiérarchique qui caractérise ce modèle. A contrario, le concept de bazar s’applique au mode de développement qui caractérise le modèle open source.

 

Fonctionnement du bazar

 Dans cette étude, nous allons laisser de côté les aspects techniques et l’historique du mouvement de « Fetchmail » pour nous concentrer sur les renseignements que retire Raymond de cette expérience. L’enseignement principal est une comparaison du concept de bazar avec le modèle d’incitation du monde scientifique.

Dans le bazar, le développeur va travailler sur quelque chose qui l’intéresse. En effet, il développe d’abord pour lui, pour améliorer ou créer un programme qui lui convient. Il sera plus efficace qu’un développeur du monde propriétaire à qui l’on a assigné une tâche. Si un logiciel est open source cela signifie que vous pouvez le modifier à condition de laisser la nouvelle version modifiée en libre accès à tous. Ce qui est donc intéressant,  c’est de ne pas hésiter à reprendre le travail d’un autre au lieu de tout refaire soi-même.

D’ailleurs Raymond souligne l’importance des autres dans le travail open source. D’abord il est utile de trouver un maximum d’utilisateurs du logiciel, car ceux-ci voudront l’améliorer et ainsi participeront à son développement. De plus, grâce à Internet, ces collaborations seront renforcées. Raymond insiste beaucoup sur le fait que les utilisateurs sont les mêmes que ceux qui développent le logiciel. Pour cette raison il conseille aussi des mises à jour fréquentes et de distribuer même des versions non opérationnelles. Ainsi, la communauté qui s’est créée autour d’un projet pourra tout de suite la tester, soulever les bugs, voire même les réparer. Tout ce phénomène qui peut sembler créer du désordre, en fait arrive à une solution efficace. Raymond prouve par exemple que les  logiciels libres sont moins « bugés » que leurs homologues fermés dans la mesure où de nombreux utilisateurs les ont testés souvent au cours de leurs développements ; la probabilité de passer à côté d’un bug moyen est bien plus faible que dans la cathédrale. Ainsi dans les logiciels libres il existe une version « n » parfaitement stable et une version « n+1 » plus novatrice en voie de stabilisation.

  

Les facteurs de la réussite d’un projet open source

 Au delà de cette description du bazar, ce qui est très intéressant dans le texte de Raymond, est l’examen qu’il mène sur les pré requis  nécessaires au fonctionnement d’un projet open source.

Il est nécessaire d’avoir un point de départ : un logiciel minimaliste qui fonctionne. Il faut que ce logiciel soit programmé proprement pour partir sur de bonnes bases. Il faut également convaincre les participants futurs des potentialités du projet. D’ailleurs la personnalité du concepteur du projet est importante.

Il est nécessaire qu’il sache garder les bonnes idées des autres, tout en sachant conserver une cohésion à l’ensemble. De façon générale, le coordinateur du projet doit être doué pour les relations humaines.

Dans l’ensemble, un projet open source c’est aussi une gestion de projet originale. D’abord il y a le rôle important joué par Internet pour coordonner les acteurs. Mais surtout, ce qui est fondamental dans la compréhension, ce sont les éléments qui motivent les développeurs à participer. C’est d’abord l’amélioration d’un logiciel qui les intéresse. Pour Raymond, ce qui motive les développeurs, c’est leur satisfaction personnelle et leur réputation au sein de la communauté des autres « bidouilleurs ». Les morceaux de programmes sont signés par leurs auteurs. Ainsi un développeur particulièrement efficace pourra se faire remarquer par la communauté.

Raymond conclut que la culture du logiciel libre pourrait à terme triompher non pas parce qu’elle a une meilleure morale, mais tout simplement parce qu’elle est plus efficace économiquement.

L’intérêt majeur de ce texte est surtout son impact historique dans la réflexion sur l’économie du logiciel libre, en particulier dans l’analyse du fonctionnement  et des mécanismes d’incitations qui expliquent le fonctionnement du bazar.

Le texte suivant va nous permettre d’approfondir le concept de bazar et en particulier d’affiner la problématique à laquelle une société est confrontée quand elle décide de passer d’un mode de développement fermé à un mode de développement ouvert.

 

 Pourquoi le modèle open source est sensé, Linus Torwalds, 2001.

 

 Le deuxième article que nous allons étudier s’intitule « Pourquoi le modèle open source est sensé  ». Il s’agit d’un chapitre du livre « Il était une fois Linux », écrit par Linus Torwalds en collaboration avec un journaliste spécialisé en informatique, David Diamond, en 2001. Linus Torwalds est le père de Linux, le plus célèbre des logiciels open source et véritable figure emblématique de ce mouvement. Il est donc très intéressant de pouvoir analyser le point de vue d’un acteur majeur du monde du logiciel libre.

Ce texte est récent, ce qui est très important dans le domaine de l’industrie informatique où les bouleversements sont très rapides. Il a pris en compte les dernières évolutions qui ont agité le monde du « Libre ».

Au-delà du chapitre que nous allons étudier, le livre est une source d’informations intéressantes. C’est une autobiographie de Linus Torwalds qui insiste sur les aspects de sa personnalité et de sa vie qui l’ont conduit à développer le programme Linux. Le parcours de Linus Torwalds illustre parfaitement les propos de Raymond quand celui-ci décrit le fonctionnement du bazar. Les traits de la psychologie de Linus Torwalds correspondent exactement à ceux que Raymond suggère pour le porteur d‘un projet open source. On prend conscience de l’importance d’Internet pour échanger les programmes et les idées, d’avoir un logiciel de départ comme base (Minix dans le cas de Linux) et de la nécessité de créer une communauté de développeurs autour du projet. Mais à travers le parcours de Linus Torwalds, on se rend mieux compte des motivations de ces développeurs : la volonté d’apprendre tout en développant un programme qui  les intéresse et bien sûr la recherche de reconnaissance de la communauté. Si on peut constater l’efficacité de cette alchimie tout au long de l’évolution de Linux, le parcours professionnel de Linus Torwalds est aussi l’exemple d’une limite de ce modèle. Linus Torwalds a en effet préféré quitter le monde universitaire finlandais pour travailler dans la société Transmetta, qui est installée dans la Silicon Valley en Californie et qui produit des processeurs.

           

Rappel des caractéristiques du bazar

La partie du livre la plus intéressante pour cette étude est le chapitre intitulé « Pourquoi le modèle open source est sensé  » des pages 264 à 276.

Dans cet article, Linus Torwalds reprend les principes qui caractérisent le bazar de Raymond et y apporte un éclairage différent. Il apporte surtout des précisions, du fait de sa place originale au sein du mouvement du logiciel libre et il peut prendre en compte les évolutions que ce mouvement a connues entre 1988 et 2001.

La première caractéristique de la philosophie open source, rappelée par Linus Torwalds, est que dans ce modèle «n’importe qui peut se joindre à un projet de développement ou de commercialisation ». Cette caractéristique peut s’avérer un vrai facteur de réussite puisque c’est ainsi que IBM a réussi à imposer son PC compatible comme standard de la micro-informatique, faisant disparaître ses concurrents : Atari, Commodore ou même Apple.

Linus Torwalds insiste beaucoup sur l’importance de la communauté, surtout dans la capacité d’un groupe à mieux trouver les bugs que ne pourrait le faire une personne seule. Il remarque que cette caractéristique fondamentale du fonctionnement du logiciel libre pourrait facilement être adoptée dans d’autres secteurs d’activités complexes, grâce en particulier au développement des technologies de l’information. Pour revenir dans le domaine des logiciels, Linus Torwalds constate que le modèle du logiciel libre permet d’atteindre les meilleurs standards de qualité.

 

Le modèle de la recherche scientifique et les effets secondaires insoupçonnés de la « philosophie  open source » 

Comme pour Raymond, Linus Torwalds montre que l’apprentissage et la reconnaissance de la communauté sont des facteurs de motivation importants pour les développeurs. Mais il ajoute un autre aspect, qui est le côté passion et militantisme, qui anime les hackers. De plus il fait un rapprochement intéressant entre les moteurs de la motivation dans la recherche scientifique et le monde du logiciel libre. Ce rapprochement a été développé par Kelty (2001) et abordé par Foray et Ziemmermann (2002), nous le développerons plus loin. Du fait de la montée en puissance du logiciel libre, de nombreuses sociétés se créent dans ce domaine et embauchent les meilleurs développeurs, ce qui ajoute une source de motivation nouvelle pour participer à la communauté.

La diffusion d’un logiciel libre a des effets secondaires insoupçonnés. Cela permet aux entreprises secondaires d’adapter le logiciel à leurs besoins ou aux nouveaux besoins du marché. Le logiciel va évoluer et va avoir de nombreuses utilisations innovantes. Ainsi pour Linus Torwalds : « En évitant de contrôler la diffusion de la technologie, vous ne limitez pas les possibilités d’emploi ».

 

Quand une entreprise est l’initiatrice d’un projet open source 

Linus Torwalds se penche aussi sur les difficultés pour une entreprise de passer d’un modèle fermé à un modèle ouvert. Raymond s’intéressait aux problèmes du rôle des individus (développeurs, utilisateurs, concepteurs de projets…) dans le cadre d’une communauté créée autour d’un projet de logiciel open source. Ici, Linus Torwalds aborde la problématique de l’entreprise qui souhaiterait développer un logiciel open source.

D’abord il est important de prendre en compte la peur du changement. En restant dans un modèle fermé, l’entreprise peut mieux prévoir son évolution et donc s’adapter aux changements. En adoptant un modèle ouvert, l’entreprise a des chances de beaucoup mieux réussir, mais ce succès est plus imprévisible. Le dilemme est entre une réussite plus complète mais plus incertaine ou une réussite moindre mais plus prévisible.

Pour une entreprise qui veut basculer d’un logiciel fermé à un logiciel ouvert, il existe un autre problème majeur : « L’entreprise a accumulé beaucoup de connaissances et de savoir faire qui font partie de son capital ». Cette connaissance interne reste confidentielle, ce qui est une barrière vers l’extérieur.

Linus Torwalds insiste donc sur la nécessité d’associer l’extérieur, c’est-à-dire les futurs développeurs, aux prises de décisions. Cette démarche a le double avantage de créer une dynamique positive entre l’extérieur et l’entreprise et d’apporter des idées importantes et intéressantes de l’extérieur vers l’entreprise.

 

Les conséquences pour une entreprise de s’ouvrir 

Cependant cette contribution extérieure n’est pas sans conséquences au sein même de l’entreprise. Il faut gérer les problèmes de blessures d’amour propre des salariés. En effet, le problème se pose quand un contributeur externe à la société apporte un travail qui annule et remplace celui d’une personne interne à l’entreprise et que cela transpire à l’extérieur. Linus Torwalds en tire comme conclusion que cela devient impossible de se cacher derrière ses supérieurs hiérarchiques. Afin de concilier la nécessité d’intégrer l’extérieur et la gestion des problèmes d’amour propre, il en déduit le besoin de repenser l’organisation de l’entreprise. Il confère un rôle très important au responsable du projet : ce dernier doit maintenir les objectifs de l’entreprise par rapport au projet, mais aussi adapter celui-ci aux besoins réels. On retrouve dans ce texte les descriptions des qualités du concepteur du projet décrites chez Raymond: l’expertise technique, une vue d’ensemble. Linus Torwalds ajoute des champs de compétence complémentaires à son responsable de projet : la capacité à faire l’interface entre l’entreprise et l’extérieur, une bonne prise en compte des objectifs de l’entreprise sans être trop dépendant de celle-ci pour conserver sa légitimité. Pour Linus Torwalds ce « responsable de projet » est la véritable clef de voûte d’un projet « open source » en particulier quand il est lancé par une entreprise.

Linus Torwalds conclut comme Raymond qu’il y a un ordre de crédibilité économique au modèle open source, mais il convient aussi que ce modèle «  n’est pas adapté à tous les projets, à toutes les personnalités, à toutes les entreprises ».

 

Intérêts et limite du texte 

Certes ce texte connaît certaines limites ; il ne s’agit pas d’un travail académique et nous pourrions, de bonne foi, remettre en cause l’objectivité d’un auteur aussi impliqué dans le monde de l’open source que Linus Torwalds. Cependant, ce texte ne manque pas d’intérêt, d’abord par la personnalité de son auteur, qui du fait de son rôle dans le monde du logiciel libre, est un observateur privilégié de l’évolution de ce dernier. Ce texte complète très bien celui de Raymond en ayant plus de recul sur le développement du modèle open source, puisqu’il a été écrit en 2001. Surtout, il a affiné l’analyse de Raymond en se penchant sur les problématiques du bazar quand une entreprise en est l’origine. Cet aspect n’est pas négligeable dans la perspective d’une réflexion sur les Business Model des entreprises qui gravitent autour du libre.

Pour compléter cette étude il serait intéressant d’étudier l’analyse plus impartiale et académique d’économistes ; c’est ce que nous propose le texte suivant de Foray et Zimmermann (2002).


 

L’Economie du logiciel libre : organisation coopérative et incitation à l’Innovation, Dominique Foray et Jean Benois Zimmermann, 2002.

 

Le dernier article que nous allons étudier est très récent, puisqu’il est paru en janvier 2002, dans la revue économique consacrée à la Nouvelle Economie. Ces deux auteurs sont issus du monde universitaire et de la recherche puisqu’il s’agit de Dominique Foray, directeur de recherche CNRS, Université de Paris Dauphine et OCDE/CERI ainsi que de Jean –Benoît Zimmermann, directeur de recherche CNRS, GRQAM-EHESS Marseille. Ils ont tous deux orientés leurs recherches dans le domaine de l’économie de l’innovation, de la connaissance et des sciences. Ceci donne un intérêt conceptuel fort à ce texte, en particulier sur les analogies entre les mécanismes d’imitation qui ont cours dans le monde du logiciel libre et ceux de la recherche scientifique.

Ce texte apporte un complément d’informations par rapport à Raymond (1998) et à Torwalds (2001), non seulement d’un point de vue conceptuel, mais surtout parce qu’il pose une problématique novatrice et qui prend pleinement en compte les changements fondamentaux que le logiciel libre est entrain de connaître.

La question que se posent les auteurs part d’abord d’un constat : jusqu’à maintenant les utilisateurs du logiciel libre étaient aussi ceux qui participaient à son développement (Raymond, 1998).Leurs réflexions les amènent à s’interroger sur les conséquences de la diffusion du logiciel libre vers le grand public.

 Pour répondre à cette question, les auteurs vont procéder en deux  étapes : d’abord un rappel sur les bases du logiciel libre (les aspects juridiques et institutionnels ainsi que les propriétés économiques des logiciels), puis ils vont se concentrer sur la problématique en étudiant les incitations dans un système d’innovation collective.

 

Problèmes de la propriété intellectuelle dans le domaine du logiciel informatique. 

Foray et Zimmermann rappellent d’abord qu’à l’origine les problèmes ne se posaient pas dans la mesure où ce produit était joint à la  création du matériel. Dans le cadre actuel, d’un point de vue économique, on peut apparenter le logiciel à la connaissance, mais en même temps «  sa mise en œuvre par un utilisateur donné ne requiert pas de la part de celui-ci une appropriation effective ».

Un des enjeux fondamentaux quand on parle de logiciels, est de savoir s’il faut leur appliquer le droit d’auteur (comme c’est généralement le cas). La particularité du droit d’auteur est « qu’il procure la protection de l’œuvre sans obliger à en dévoiler le contenu ». En effet, on peut utiliser le logiciel sans en connaître le code source. Selon les auteurs, la vraie problématique n’est pas entre droit d’auteurs et droit de brevets, mais entre « Culture de la connaissance pure » et coopération d’une part, et approche marchande et appropriation d’autre part.

 

Les bonnes propriétés du logiciel libre 

Foray et Zimmermann rappellent les caractéristiques d’un logiciel libre. Ce dernier ne se particularise pas par la gratuité, comme on le croît souvent. La Free Software Foundation nous indique que dans le cas d’un logiciel libre « chacun peut utiliser le code et le modifier, à la condition de communiquer la modification à l’organisation pour qu’elle soit vérifiée et évaluée ». Les auteurs retrouvent dans ces caractéristiques «  les bonnes propriétés d’un savoir ouvert ».

Ces bonnes propriétés sont même amplifiées dans le cas du logiciel libre, dans la mesure où il s’agit de l’élaboration d’un objet complexe. Dans ce contexte, bien que des milliers de développeurs y travaillent, le système demeure en phase de rendement croissant. De plus, grâce aux échanges par Internet, la circulation des améliorations est rapide, parfaite et à coût marginal nul. Enfin, les logiciels sont une technologie qui a la particularité d’annuler la distance entre producteur et consommateur. « Le va et vient entre identification des problèmes et formulation des solutions est donc quasi instantané ».

Les auteurs en concluent donc que le logiciel libre « ne doit pas simplement être analysé en tant que mode privilégié d’expression des convictions éthiques et altruistes des individus, ou même d’un sentiment communautaire, mais il doit être surtout vu comme un mécanisme générateur d’efficacité économique ».

 

Les fondements institutionnels d’un modèle coopératif. 

Dans cette partie, les auteurs rappellent le concept du modèle du  bazar  élaboré par Raymond (1998). Ils font l’historique et le récapitulatif des différentes licences qui régissent le monde du logiciel libre et du modèle de  bazar.

Ils montrent comment certaines entreprises (Sun, Netscape) essaient de mettre en place des licences qui leur sont plus favorables que la licence de référence GNU-GPL.

Le but de ces firmes « est au fond de rendre compatible un modèle d’accès libre à la technologie, favorisant la progression du savoir et l’adoption du standard, avec un modèle d’exclusivité sur certains éléments, qui garantit un certain niveau de revenus ».

 

L’incitation dans un système d’innovation collective. 

La partie d’incitation dans un système d’innovation collective est au cœur de l’article. Les auteurs analysent la nouvelle problématique du logiciel libre : « le virage de son entrée dans le monde marchand et de son élargissement au marché grand public » et, en particulier, le problème de l’incitation des développeurs.

Dans un premier temps, ils reviennent sur les fondements de cette incitation. Au-delà de l’éthique académique (sentiment de contribuer à une œuvre collective), ces incitations sont principalement de deux ordres : « l’apprentissage et la réputation. Une condition supplémentaire tient au faible coût marginal exigé pour contribuer à l’entreprise ».

Jusqu’à maintenant, cet apprentissage, la réputation et le bénéfice de pouvoir utiliser les logiciels suffisaient pour inciter les développeurs à travailler.

Mais maintenant que les développeurs ne sont plus les seuls utilisateurs, que de plus en plus de comportements opportunistes apparaissent, que ce soit par l’utilisation ou l’exploitation commerciale de logiciels libres, que va-t-il rester de l’équilibre qui permet de faire fonctionner le bazar ? Les auteurs appellent cette problématique : la « tolérance du système au comportement opportuniste ».

En réponse à cette interrogation, les auteurs avancent l’hypothèse que le modèle open source pourrait s’effondrer du fait de son succès. Dans ce nouveau contexte, les développeurs arrêteraient de coopérer.

Les auteurs proposent deux solutions pour que ce scénario catastrophe ne se réalise pas. La première solution, classique, qui consiste à embaucher les meilleurs développeurs au sein des entreprises qui se sont ralliées au modèle du logiciel  libre, est déjà appliquée. La deuxième proposition est plus originale ; elle consisterait en un financement par le secteur public bénéficiant à des développeurs confirmés.

  

Un modèle de coalition. 

 Dans la partie suivante, les auteurs mettent en place un modèle mathématique de coalition où il apparaît que les développeurs les plus compétents seraient les plus enclins à faire défection lorsque l’audience des logiciels libres s’élargit. En effet, plus un développeur est compétent, moins il a de choses à apprendre et sa réputation est déjà faite. Les mécanismes d’incitation ont donc moins d’emprise sur lui.

Les auteurs tempèrent cette analyse en rappelant qu’il ne faut pas négliger l’importance du militantisme qui accompagne le modèle du logiciel libre.

 

Intérêts du texte 

Cet article a été écrit par des économistes de l’innovation dans le cadre d’un travail universitaire et académique ce qui lui confère une plus grande impartialité que les deux textes précédents. Eric S. Raymond et Linus Torwalds sont bien trop impliqués dans le monde du Libre pour avoir un avis complètement objectif sur ce sujet.

Cet article est aussi particulièrement riche en terme de concepts abordés. En outre, il propose une modélisation mathématique des motivations des développeurs qui est très intéressante. Le fait que Foray et Zimmermann ont aussi travaillé sur l’économie de la science, leur permet de proposer une analogie sur les mécanismes d’incitation qui ont cours dans le monde du Libre et de ceux qui caractérisent celui de la recherche scientifique.

Mais l’apport majeur de ce texte à la réflexion sur l’économie des logiciels libres, est bien de montrer les dangers d’une ouverture vers le grand public sur le fragile équilibre qui permet au Libre de fonctionner. La remise en cause des mécanismes d’incitations des hackers, développés dans les textes de Raymond (1998) et de Torwalds (2001), pourrait marquer la fin du mode de développement des logiciels libres. Les solutions proposées par les auteurs sont originales et mériteraient d’être prises en compte, en particulier par les pouvoirs public qui auraient une véritable mission de financer certains développeurs, comme ils financent actuellement la recherche scientifique fondamentale.

 

 

Conclusion

 

Cette note bibliographique nous a permis de mieux comprendre les relations entre les différents acteurs du Libre : les concepteurs, les développeurs, les utilisateurs et les firmes.

L’article de Raymond (1998) a introduit les notions de cathédrale et de bazar. Il nous a aussi permis de voir comment fonctionnaient les mécanismes d’incitations à participer à des projets open source. Le texte de Torwalds (2001) nous a montré les difficultés qu’entraînaient l’intégration d’un nouvel agent : l’entreprise. En particulier, il a insisté sur l’importance de créer une véritable interface entre l’entreprise et les développeurs extérieurs. Cette interface a pour objectif à la fois d’intégrer ces développeurs au projet mais aussi d’assurer la gestion des ressources humaines à l’intérieur de la firme afin d’assurer la cohérence globale du projet. Ces deux premier textes nous ont permis d’avoir une « vision de l’intérieur » du monde open source. L’article de Foray et Zimmermann (2002), nous a permis, quant à lui, d’avoir une vision non militante de ce monde. D’ailleurs, tout en reconnaissant l’efficacité du modèle de développement du Libre, ils sont les seuls à émettre des critiques. Surtout, ils démontrent que l’ouverture vers le grand public pourrait entraîner la défection des meilleurs développeurs volontaires qui sont à la base de la réussite du Libre. Mais ils reconnaissent eux même une limite à leur modèle, il ne prend pas en compte la dimension militante qui anime les développeurs. D’ailleurs, en lisant les textes de Raymond (1998) et surtout de Torwalds (2001) on se rend compte que ce paramètre est loin d’être négligeable dans les mécanismes d’incitations des hackers.

Ils n’en restent pas moins vrai que tout travail sur les Business Models des entreprises qui gravitent autour du Libre, devra largement prendre en compte la gestion des ressources humaines des entreprises. Cette gestion des ressources humaines est originale dans la mesure où la grande majorité des développeurs d’un projet ne sont pas salariés de l’entreprise initiatrice de ce projet. Si les mécanismes du bazar ont pour l’instant suffit à motiver les développeurs, ces entreprises s’ils veulent survivre devront adopter des Business Models qui prennent en compte les changements qu’ont analysé Foray et Zimmermann 2002.


 

Bibliographie

·        Kelty C. (2001), Free Software/Free Science, http://www.firstmonday.org/issues/issue6_12/kelty/index.html

·        Maître B., Aladjidi G. (1999) Les Business Models de la nouvelle économie, Dunod.

·        Mockus,  Fielding & Herbsleb (2000), A Case Study of Open Source Software Development: The Apache Server, http://www1.bell-labs.com/user/audris/papers/apache.pdf

·        Raymond E.S. (1998), La Cathédrale et le Bazar, traduit par Blondeel S., http://www.lifl.fr/~blondeel/traduc/Cathedral-bazaar/Main_file.html

·        Torwalds L. (2001), Pourquoi le modèle open source est sensé, chapitre du livre Il était une fois linux, Osman Eyrolles Multimédia, p264-276

·        Zimmermann J.B. (1999), Logiciels et propriété intellectuelle http://webbo.enst-bretagne.fr/tig/logicielLibre/R/I29/#auteurs

 

 

 

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